dimanche 18 septembre 2011

LE CHAGRIN DES CLASSES MOYENNES - Nicolas Bouzou (2011)

Résumé de l'éditeur:

"C'est l'histoire d'un aveuglement. D'une évolution dont les élites politiques refusent de prendre acte, mais que les principaux intéressés (la majorité des Français !) subissent et ressentent dans leur chair. Notre pacte social a fait la part belle aux classes moyennes qui, c'était entendu, bénéficieraient année après année de rémunérations de plus en plus élevées. Tel est le fil censé guider nos vies. On doit pouvoir accéder au crédit, s'acheter une voiture, puis un logement. On travaille, on progresse, on ressemble à ses voisins, à ses cousins, à ses anciens camarades d'école : on ne se refuse pas grand-chose, on pense aux vacances plusieurs mois à l'avance. Eh bien, braves gens, préparez-vous à la dure vérité des faits et des chiffres : ce modèle est mort."
Voici le portrait saisissant d'une France à un moment clé de son histoire économique et sociale. Une France où même certains "notables" ont parfois du mal à boucler leurs fins de mois. Car désormais, nul n'est à l'abri.

Résumé tiré du web:

1) Le diagnostic du « chagrin » des classes moyennes :

Ce qu’analyse avec justesse Nicolas Bouzou c’est que la mondialisation produit une vraie fragmentation de la classe moyenne: en son sein, entre les plus aisés et les moins aisés, le fossé grandit et les destins individuels se séparent de plus en plus. Suivant les capacités de chacun à pouvoir se remettre en cause et à s’adapter à l’évolution du marché du travail et aux nécessités de l’entreprise, des personnes avec des profils parfaitement identiques seront à terme (il prend l’exemple de comptables, d’ingénieurs, d’avocats mais également de médecins) soit menacés de « déclassement », soit happés dans une dynamique ascensionnelle qui leur permettra de tirer les fruits pécuniaires des bienfaits de la mondialisation des talents et des compétences. Et d’évoquer la fin des « notables », ou des emplois sans risque (instituteurs). Le diagnostic est juste, surtout lorsqu’il montre que cette dynamique est le fruit paradoxal de la montée en puissance des anciens pays du tiers monde, avec au premier rang les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) - mais sans doute un jour l’Afrique - , au sein de l’économie mondiale.


Il s'attard un peu plus sur la Chine qui est un exemple particulièrement structurant: la libéralisation en 1978 du secteur argicole a permis de soutenir l'exode rural, conduisant au renforcement  de l'industrie qui  a trouvé des débouchés avec le commerce international au sein des zones économiques spéciales (ZES) avant qu'un mouvement sans précédent de privatisation des conglomérats dans les années 1990 achève le processus. Résultat, "La Chine est donc pour nous à la fois une chance et une menace. En même temps, elle nous offre des perspectives de croissance inespérées et désintègre notre tissu social en contribuant à la fragmentation de notre classe moyenne. Et l'atelier du monde n'a pas fini de grossir. Il monte en gamme, délaissant progressivement les secteurs traditionnels (...) pour des secteurs à plus forte valeur ajoutée."


Mais l’auteur pèche cependant : il fait l’impasse sur la situation de la fonction publique. Au sein des destins professionnels qu’il brosse sans complaisance, les fonctionnaires qui sont par excellence des insiders ne sont pas évoqués, pas plus que le constat lucide de leur poids au sein d’un PIB dominé à 55% par les dépenses publiques et leurs implications budgétaires. Tout au plus relève-t-il le rôle délétère aujourd’hui de certaines politiques publiques comme le logement, dans un chapitre éclairant « Quand l’Etat enfonce les classes moyennes  ». Il y fait le constat de l’échec actuel de la politique du logement, reposant sur une politique de la demande (aide à l’accession à la propriété) alors qu’il aurait fallu une politique raisonnée de l’offre (augmentation des aides à la construction, donc au BTP et aux promoteurs). Mais on aurait aimé qu’au-delà du diagnostic, l’auteur aille jusqu’à proposer des solutions plus variées, en particulier proposer quelques économies à pratiquer dès-à-présent au sein de la dépense publique. Au contraire il en reste à préconiser une « déréglementation » des professions réglementées (vétérinaires, taxis, notaires) dans le prolongement des études menées par Francis Kramartz et Pierre Cahuc (2007).

2) Rien ne sert de « taxer plus les riches »:

Pour préparer les classes moyennes à affronter la mondialisation, le message de Nicolas Bouzou aux pouvoirs publics est clair : si les situations de rentes et les emplois protégés sont condamnés à disparaître, la solution à leur angoisse ne réside pas dans une politique fiscale visant à taxer plus les riches. La raison en est simple, avec un taux de prélèvements obligatoires de 44%, il n’est plus temps d’alourdir la pression fiscale sur les contribuables : ni par la consommation puisque l’on touche les plus modestes de plein fouet, ni sur les plus riches parce qu’ils sont également les plus mobiles, ni sur les classes moyennes qui sont précisément les plus déstabilisées par la globalisation : « Dans une société qui éclate, raisonner simplement en termes de redistribution fiscale est une chimère. Il faut prendre les problèmes bien plus en amont » (p.209). Par ailleurs, ne pas toucher à l’ISF ("l’impôt d’avenir de Piketty") serait une erreur, toute simplification de notre fiscalité est bonne à prendre dans la mesure où afin de maintenir une certaine « compétitivité fiscale », la France a dû multiplier la complexité de ses dispositifs dérogatoires. Reste donc à l’Etat à modifier en profondeur sa stratégie qui en définitive, même si l’auteur se garde bien de le dire explicitement, doit faire décroître inéluctablement son périmètre. Il propose à la place, l’édification d’un nouveau pacte social entre les entreprises, la société civile et l’Etat. Bref, appelle à la mise en place d’une sorte de « Big Society » à la française :
- Côté entreprises, celles-ci devront s’engager à développer une offre rigoureusement différentiée afin de répondre à une demande beaucoup plus diversifiée pour une société éclatée : montée en gamme et le développement du low cost et du hard discount  : « les marchés du haut de gamme et de l’entrée de gamme vont continuer à s’élargir. Le moyenne gamme va rétrécir. »
- Côté Etat, une remise en cause de son caractère « providentiel » et surtout renoncer au levier égalitariste de la politique fiscale : «  la redistribution via l’impôt est essentielle dans une démocratie. Mais elle est imparfaite, forcément limitée et ne traite le problème que très en aval. »
- Enfin côté Société civile, celle-ci a « certainement son rôle à jouer ; c’est cet évergétisme hérité de la Grèce antique et de Rome et remis à la mode américaine qui permet de lever des milliards de $ pour les bonnes causes. » L’auteur plaide donc pour la multiplication des fondations et le développement des dons et du tiers secteur.

 

Conclusion :

L’approche de Nicolas Bouzou est donc lucide et stimulante en disqualifiant par essence la question du « grand soir » fiscal. Au contraire de Piketty, Landais et consorts (cf. le livre "Pour une révolution fiscale"), la seule disposition fiscale qu’il envisage est un alourdissement des droits de succession, dans une perspective cherchant à favoriser la new money sur l'old money, selon l’acception américaine. C’est ce qu’il appelle une politique de « combat de la rente »… une politique propice à la création d’emplois qui devrait se conjuguer avec une nouvelle remise à plat des relations entre l’Etat et les entreprises. En définitive le principal constat de l’ouvrage réside dans la proposition suivante : la solution au « chagrin » des classes moyennes réside avant tout dans le dynamisme et l’innovation des individus qui les composent… Classes moyennes, bougez-vous !


Auteur:

Nicolas Bouzou est économiste. Il enseigne à Paris II-Assas et dirige le cabinet de conseil Astérès. Il intervient régulièrement dans les médias.


Avis:

 
** Très bon livre d'économie pratique truffé d'exemples et de cas concrets, presque à l' "américaine" ! Le contenu reste également assez proche des idées d'outre atlantique et donc libéral sans être toutefois excessif dans ce sens (avec des idées à la fin du livre pour tout type de gouvernement: gauche, droite, centre).
** Même si l'on peut rester un peu sur sa faim par rapport au titre en attendant des solutions pour sauver les classes moyenne. En effet, Nicolas Bouzou enterre dès le départ cette possibilité, même s'il donne malgré tout des pistes pour améliorer notre sort dans le futur.
** Tous les sujets abordés sont d'actualité et supportés par de nombreux exemples de notre vie courante (cf. les citations ci-dessous): consommation, logement, imposition, .... C'est ce qui en fait un livre d'économie vraiment très agréable à lire, loin des essais scolaires et proche d'une analyse sociologique de notre société actuelle. Seul point négatif, tous ces nombreux sujets ne donne finalement pas d'idée directrice au livre et il en ressort "seulement" une association de bonnes idées.


Citations:


**"Pis, ce délitement des classes moyennes est inéluctable, mû par des causes, la mondialisation et le progrès technique, qui s'imposent à tous les pays développés et qui, suprême ironie, constituent une chance extraordinaire pour le bien-être de l'humanité, puisqu'elles sont synonymes de croissance et de recul de la pauvreté dans bien des pays (des millions de Chinois et d'Indiens peuvent en témoigner). L'enjeu n'est donc pas de vouloir sauver les classes moyennes, car une telle lutte est perdue d'avance et ne conduirait à rien d'autre qu'à un gaspillage de ressources intellectuelles et financières, et à une grande régression. On ne sauve pas le produit d'un monde disparu ! Le véritable enjeu est double: il est de faire en sorte que des deux grands blocs qui composent nos sociétés, celui des riches et celui des autres, le premier soit le plus fourni ; l'enjeu est aussi de rendre la société plus fluide, pour que ceux d'en bas puissent monter plus haut." - p17
** "L'essor de ce que les Américains appellent le charity business l'illustre. Pratiquer la charité, comme le faisaient les riches de la Rome impériale, est un bon moyen d'améliorer son image, de développer son réseau, d'étendre son pouvoir. Pratiquer la charité, en donnant à des fondations par exemple, c'est se priver d'une partie de son revenu à court terme, mais c'est aussi renforcer sa capacité à en recevoir à plus long terme. Cela ne signifie pas que la charité ne relève que de l'intérêt. Il y a sans doute une part de générosité dans le développement du charity business. Mais oublier les motivations autres relèveraient d'un naïveté coupable et passerait à côté d'un aspect important de la question." - p51
** "Il y a des pelletées de secteurs qui se sont offert un lobbying suffisament efficace pour convaincre nos parlementaires et nos gouvernements d'en vérouiller l'accès [...]. Pharmaciens, taxis, vétérinaires ou notaires bénéficient de ces privilèges qui leur permettent de pratiquer des prix (et donc des marges) plus élevées que dans le cas où ils opéreraient dans un environnement véritablement concurrentiel. C'est une des raisons qui explique pourquoi les prix des services continuent d'augementer, alors que ceux des biens, soumis aux rudes lois de la concurrence, stagnent. Ainsi, une inflation moyenne de 2% masque des évolutions relativement très différentes: les prix des produits high-tech chutent, ceux des biens sont en légère baisse, ceux des service augmentent." - p94
**"Et quand les prix de la viande augmente, la faute en revient essentiellement aux pays émergents et à leur demande gloutonne. La mondialisation qui fait baisser les prix des produits manufacturés fait augmenter ceux de l'alimentation!" - p96
** "Si l'eau est de plus en plus rare, elle doit être de plus en plus chère, pour ne plus être gaspillée. C'est la voie écologiste de la raison ... mais qui va à l'encontre des intérêts des classes moyennes." - p99
** "Pourtant, la situation du marché du logement n'a rien d'inéluctable. Pour un économiste, si des prix augmentent ou restent trop élevés, entraînant une pénurie, c'est que le marché est entravé dans son fonctionnement. Cest que l'offre est contrainte. C'est que, pour tout un ensemble de raisons, on ne construit pas assez de logements. Car dans un marché qui fonctionnerait correctement, la hausses des prix constituerait le signal d'une rareté, et donc d'une opportunité de profit pour le promoteurs immobiliers, lesquels devraient construire davantage pour augmenter leurs profits ! [...] Depuis l'après-guerre; les gouvernements successifs ont identifié une "crise" du logement. Entendez : les prix des logements sont trop élevés, il faut donc donner davantage de moyen aux ménages pour qu'ils puissent accéder à la propriété. erreur de raisonnement classique mais funeste comme le sait n'importe quel étudiant de première année en sciences-éco. Car en prétendant offrir davantage de moyens aux ménages, on accroît la demande. Or accroître la demande quand l'ordre est insuffisante, c'est accentuer un déséquilibre existant. c'est pousser un peu plus les prix à la hausse ! [...] J'ai montré ailleurs, reprenenant en cela une littérature économique abondante, comment les politiques monétaires, en permettant des taux d'intérêt excessivement bas, créaient des bulles sur les marchés immobiliers. [...] A la vérité, plusieurs études, en Europe comme aux Etats-Unis, ont montré que les déficits de logement étaient le produit d'une politique mathusienne en matière d'occupation des sols. Sous couvert de protection de l'urbanisme, de lutte contre l'étalement urbain ou de congestion des villes, on limite les nouvelles constructions au maximum. Comme si l'on ne pouvait pas faire du beau avec du moderne, comme si nouveauté et tradition ne pouvaient se mélanger pour le meilleur, comme si la densité était mauvaise en soi." - P106 à 110
** "En effet, la plupart des pays qui ont réduit de façon significative et durable leur dette publique l'ont fait en diminuant progressivement la dépense publique. Augmenter massivement les prélévememnets obligatoires, au contraire, se révèle contre-productif pour une raison simple: l'alourdissement des impôts affecte les incitations à consommer et à investir, en un mot, la croissance." - p117
** "Si l'on additionne les impôts directs (impôts sur le revenu, CGS, CRDS, taxe d'habitation, ...), les impôts indirects (TVA, taxe intérieure sur les produits pétroliers, droits de mutation, ...), les cotisations sociales (salariales et patronales), et les impôts qui pèsent sur les entreprises, on obtient une somme qui représente 44% du PIB. Ce qui signifie que quasiment la moitié des richesses produites en France chaque année est prélévée par l'Etat, pour lui-même ou pour être redistribuée. C'est énorme dans l'absolu, et c'est plus que chez la plupart de nos voisins (seuls le Danemark et la Suède nous surpassent). Autres spécificité française: la fiscalité y repose en grande partie sur le travail, via les cotisations sociales." - p120
** "Cette concurrence fiscale contraint considérablement les choix des gouvernements en matière de fixation des taux d'imposition. Il existe une solution théorique à cela: l'harmonisation fiscale entre les Etats [...] qui n'adviendra pas ...." - p125
** "Les Américains conçoivent trois nouvelles institutions: Le Fond Monétaire International (qui prête aux pays en crise en contrepartie de "conditionnalités" qui exigent la réduction des droits de douane et de subventions publiques et la libéralisation des marchés financiers), la Banque mondiale (qui prête aux pays pauvres afin de financer d'importants projets d'investissement et d'infrastructure) et le General Agreement on Tarifs and Trade - le GATT qui deviendra plus tard l'Organisation Mondiale du Commerce (qui est l'enceinte de négociation qui doit aboutir à la diminution des droits de douane et donc au développement du libre-échange entre les pays adhérents." - p140
** "Le Mozambique, par exemple, présente des performances économiques "à la chinoise", avec 8% de croissance en moyenne chaque année depuis 10 ans." - p158
** "La théorie économique moderne va encore plus loin, en affirmant que, même dans un monde où tous les individus de tous les pays disposeraient exactement des mêmes capacités, le libre-échange resterait profitable. Chaque pays aurait intérêt à se spécialiser dans un secteur, quitte à le choisir hasard, pour bénéficier d'un marché plus important que son simple marché national, et réaliser ainsi des économies d'échelle." - p161
** "La position officielle, celle des grandes organisations internationales comme le FMI ou l'OCDE est bien celle-ci: la montée des inégalités et, partant, les déboires des classe moyennes, sont largement indépendantes de la mondialisation. Pour elles, ces difficultés émanent quasi exclusivement des mutations technologiques. Pourtant cette assertion est fausse. Ce n'est pas la nouvelle révolution industrielle qui dissout les classes moyennes, c'est le mariage entre la mondialisation et le progrès technique. Ces deux aspects sont indissociables." - p173
** "Les entreprises devront, ces prochaines années, avoir cette contrainte à l'esprit: les marchés du haut de gamme et de l'entrée de gamme vont continuer de s'élargir." - p 217
** Politiques: la gauche doit se réapproprier le thème de l'éducation ; la droite doit enfin combattre la rente ; le centre doit pousser la décentralisation. - last chapter

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