lundi 18 juillet 2011

LA FRANCE EST-ELLE FINIE ? - J.P. Chevènement (2011)

Résumé de l'éditeur:
La France va-t-elle se résigner à sortir définitivement de l’Histoire pour devenir un simple parc d’attractions, à l’extrémité occidentale d’une Europe elle-même marginalisée? Ou bien trouvera-t-elle la force de redevenir la nation de citoyens dont elle a fourni le modèle, pour offrir un avenir à sa jeunesse et continuer son histoire ?

Dans ce livre décapant, Jean-Pierre Chevènement éclaire le chemin par lequel nous en sommes arrivés là. Au moment où la monnaie unique, créée il y a vingt ans à Maastricht, prend l’eau, il montre comment le «pari pascalien» de François Mitterrand sur un au- delà des nations appelé «Europe» n’a pas seulement recouvert le ralliement de la gauche française au néo- libéralisme, mais s’enracine dans un doute plus ancien de nos élites sur la France.

Méditation sur le destin de notre pays entre de Gaulle et Mitterrand, il rend enfin lisible, dans toute sa cohérence, l’histoire de notre dernier siècle. Il fournit ainsi les clés qui peuvent permettre un retour de la France du XXIe siècle au premier rang des nations.


Résumé tiré du web:
Jean-Pierre Chévènement est au nombre des hommes politiques, aujourd’hui peu nombreux, qui savent écrire autre chose que des réponses bâclées  aux questions posées par  des journalistes à la recherche d’un tirage. Son parcours est jalonné par des ouvrages qui font le point de ses réflexions et de ses expériences. C’est ce qu’il appelle, d’après Alain cité par Claude Nicolet,  la « République intérieure ». Une «  exigence de tous les instants », qui «  se résume au devoir de penser ». « Elle implique de la part du citoyen culture, lucidité, patriotisme et surtout courage et mise en conformité de l’action avec la pensée ».
Son dernier livre, « la France est-elle finie ? »,  illustre une nouvelle fois cette capacité. Pour ceux qui comme moi ont suivi de près son itinéraire politique c’est un livre captivant, tant par les retours qu’il fait sur le passé que par les perspectives qu’il esquisse en direction du futur.
La composition du livre est complexe. Les chapitres successifs sont tous accrochés à des espaces de temps spécifiques qui vont de 1940 à 2040 et se chevauchent les uns les autres. J’y distingue pour ma part trois grandes parties. La première (chapitres I à IV) est consacrée à l’action menée par la gauche de 1971 à 1995. La seconde ( V à IX) est une analyse des évolutions et  contradictions du néolibéralisme au cours  des deux dernières décennies. La troisième enfin (X à XIV) cherche à définir ce que pourrait être « le grand pari  sur la France » au 21ème siècle.
Quelques mots clés, qui reviennent très souvent : François Mitterrand, l’Europe, l’Allemagne, la République et bien entendu la France. Mais aussi une absence : le socialisme.

François Mitterrand
Il est frappant d’observer  chez Jean-pierre Chévènement une véritable fascination vis à vis de François Mitterrand. Complices au congrès d’Epinay les deux hommes se sont par la suite affrontés à plusieurs reprises. Ils ont divergé gravement lors de la première guerre d’Irak, puis du referendum sur le traité de Maastricht. Mais ils ont toujours eu l’un pour l’autre une estime réciproque. Elle se manifestait déjà, fortement, dans l’un des derniers livres de Jean-Pierre Chévènement, « Défis républicains » (Fayard, 2004) dont le premier chapitre, sous un titre quelque peu sybillin ( « François Mitterrand, il était… »), laisse passer une évidente charge affective. On la retrouve dans ce nouveau livre, où Mitterrand est présent presqu’à chacune des cent premières pages, non sans contradiction d’ailleurs.
Comment en effet peut-on à la fois dire que François Mitterrand aura été, avec le général de Gaulle, l’un des deux grands hommes d’Etat français du 2Oème siècle, et lui reprocher le « pari pascalien » consistant à avoir choisi l’Europe, même si ce dût être contre la France ?
Pour Chevènement, en effet c’est l’Europe qui aura été, à partir de 1983 le grand choix de François Mitterrand, choix qui trouve sa racine dans le souvenir de la défaite de 1940, mythe de substitution au projet de transformation sociale qui l’avait porté au pouvoir en 1981, contrainte imposée à Helmut Kohl en échange de la réunification allemande au début des années 90, empreinte qu’il voulait laisser et qu’il aura laissée dans l’histoire. « François Mitterrand voulait rester comme un grand européen. Et il le restera sans doute, à long terme, quand nous serons tous morts » (p92).
Mais, et peut être Mitterrand n’en a-t-il pas eu suffisamment conscience, ce choix européen s’est fait au prix de l’acceptation des postulats du néolibéralisme. Le pas décisif a été franchi en 1985 par le traité de Luxembourg, plus connu sous l’appellation d’Acte Unique, qui libéralise totalement les mouvements de capitaux et va permettre à   la commission européenne d'ouvrir progressivement à  la concurrence l'ensemble des activités économiques.
L’étape suivante sera celle du traité de Maastricht et de l’instauration de la monnaie unique. Mitterrand aura voulu la monnaie unique, qui, pour lui, permettait d’arrimer l’Allemagne à l’Europe. Il n’aura en revanche pas connu la suite.
Chevènement, lui, l’aura connue et commentée. Sa  réflexion sur l’Europe et son avenir, le rôle que la France pourrait y jouer en regard de celui de l’Allemagne, irrigue l’ensemble de l’ouvrage.

L’Europe
Chevènement n’est pas anti-européen. Mais il est européen à sa manière, en décalage assez radical avec les normes et pratiques  bruxelloises. Les évènements de ces  dernières années ne lui donnent pas tout à fait tort.
Lui même, et j’avais déjà eu l’occasion de lui en faire malicieusement la remarque, n’a pas vu venir tout de suite le tournant néolibéral de l’Europe. Il a approuvé l’Acte unique, d’abord en Conseil des ministres (1985), ensuite en votant la loi approuvant le traité (1987). Il explique dans son livre que, ministre de l’éducation nationale, il n’avait pas décelé la nocivité potentielle de cet « épais document de plusieurs centaines de pages » déposé à la place de chaque ministre lors du débat en Conseil et que, à l’assemblée, où « les députés n’y comprenaient goutte », il avait comme les autres députés socialistes, émis un vote positif par loyauté au gouvernement de gauche qui avait négocié le traité.
Quoiqu’il en soit il s’est rattrapé par la suite : non au traité Maastricht, non au projet de constitution européenne. Pour autant sa position n’est nullement sectaire. Ainsi explique-t-il que, bien qu’ayant été initialement hostile à la monnaie unique, il ne suggère pas aujourd’hui de sortir  de l’Euro. Du moins n’envisage-t-il cette issue que comme un plan B, pour le cas où la politique qu’il préconise se révélerait impossible à conduire.
Telle que la voit Jean-Pierre Chévènement, l’Europe doit être une « Europe européenne ». L’expression vient paraît-il du général de Gaulle. Elle signifie une Europe autonome, sachant échapper en tant que de besoin aux contraintes de la mondialisation libérale, une Europe capable d’exister par elle même dans le monde du 21ème siècle. Je  suis personnellement d’autant plus réceptif à cette idée que j’avais signé moi-même, dans Le Monde daté du 4 octobre 1990,  une tribune intitulée « Pour une Europe européenne » dans laquelle, à la veille d’un congrès du centre européen des entreprises publiques, que  je présidais alors, je plaidais pour une construction européenne s’appuyant sur le modèle d’économie mixte qui prévalait encore dans la plupart de nos pays.
Cette Europe européenne ne saurait être fédérale, mais elle est bien  politique. Certains peuvent s’évertuer à « faire voler les coquecigrues » et à prendre  la commission  pour un gouvernement européen . Pour sa part Chevènement constate que le Président Obama, au plus fort de la crise monétaire, ne téléphone ni à Barroso, président de la commission européenne, ni à Van Rompuy qui occupe depuis peu le nouveau poste de président dit « stable » de l’union, ni à Zapatero, qui exerce alors l’habituelle présidence tournante des délibérations du semestre. C’est à Angela Merkel et à Nicolas Sarkozy qu’il s’adresse, c’est à dire aux dirigeants des deux pays qui, à la charnière de l’Europe nordique et de l’Europe méditerranéenne ont, dans le processus de décision communautaire, une responsabilité particulière.

L’Allemagne et la France
Homme des marches de l’est, Chevènement a toujours investi sur le thème des rapports avec notre voisin d’outre-Rhin. Il lui a consacré un livre ( France Allemagne Parlons franc, Plon 1996) et il y revient dans celui-ci avec  deux chapitres intitulés respectivement « 1990-2010 le retour de l’Allemagne » et « 2010-2040  France-Allemagne : sortir de l’histoire ou la continuer ensemble ». Pour lui, l’Europe européenne ne pourra s’affirmer sans une convergence profonde entre la France et  l’Allemagne, sur le terrain de la politique étrangère comme sur celui de la politique économique. Mais il n’est pas acquis que ce résultat puisse être atteint, et c’est sans doute la plus grande des incertitudes de la démarche qu’il  propose . Je ne crois pas dénaturer sa pensée en disant que pour lui c’est l’Allemagne qui tient la clé ( p 227) mais c’est la France qui, dans un rapport non de force mais de conviction (p 229), doit l’aider à l’ introduire dans les bonnes serrures, celles du desserrement des critères de Maastricht et du renoncement à l’euro fort.
Car c’est à la France qu’il revient, selon le titre du dernier chapitre, d’ organiser la « résilience » de l’Europe. Résilience au sens de capacité de survie, fait de rebondir ( on peut au passage s’étonner de cet emprunt à la langue anglaise, inhabituel chez notre auteur ). Elle passe par la reconnaissance d’un  intérêt général européen, l’instauration d’un partenariat stratégique avec la Russie et les pays de la Méditerrannée, un changement des statuts de la Banque centrale européenne pour y introduire  l’objectif de la croissance et de l’emploi, une politique commerciale extérieure inspirée de celle des Etat Unis, une grande politique industrielle européenne.
L’énumération est impressionnante. A-t-elle des chances de se  réaliser?

A défaut ce pourrait être le plan B : mieux vaudrait alors, selon une terminologie utilisée par l’économiste Alain Cotta, « sortir de l’Euro que mourir à petit feu ».  « Nous n’en sommes pas là », nous dit l’auteur. "Mais la France, à moins de se laisser réduire à n’être plus dans l’union européenne qu’un parc d’attraction,… doit se ménager deux fers au feu. Elle sera ainsi mieux armée face au monde de demain".
Du socialisme à la République
Depuis le CERES (centre d’étude, de recherche et d’éducation socialiste), devenu en 1986 « Socialisme et République », jusqu’à l’actuel MRC (mouvement républicain et citoyen) la succession des  noms adoptés par les formations qui soutiennent l’action de Jean Pierre Chévènement reflète une évolution de sa pensée que ce livre confirme s’il en était besoin.
Le socialisme y est évoqué en quelques pages, sous un  titre dépourvu d’équivoque : « ce qui reste du socialisme : une méthode ». Chevènement adhère à la critique que Marx a fait du capitalisme. Mais il souligne aussitôt ce qu’il appelle les « trous noirs » de la pensée socialiste :  dans sa réflexion sur la nation, dans son rapport à l’Etat, dans son approche des cultures non européennes. Et il termine en nous disant que « pour la gauche, le socialisme démocratique est un héritage. Il n’est pas vraiment une boussole ».
La République, en revanche, est plus que jamais au centre de la pensée de notre auteur. C’est l’expression de la nation, le cadre du vivre ensemble de notre peuple, la marque de fabrique de notre pays, le modèle qu’il peut proposer à l’Europe et au monde.
La République transcende l’opposition entre la droite et la  gauche. Chevènement est incontestablement un homme de gauche. Mais, et je le rejoins largement sur ce point, il estime que la gauche doit se réapproprier ce qu’il appelle les « valeurs de transmission » communes à l’ensemble de notre société et que lui a léguées la troisième République : le respect de la connaissance, le goût du travail bien fait, le civisme et pourquoi pas la morale.

Le projet qui se dégage du livre n’est donc pas celui d’un visionnaire qui prétendrait transformer la société. Ce n’en est pas moins un projet ambitieux,  celui d’un homme de progrès, réaliste mais volontaire, qui entend  remettre la politique au poste de commande, changer les règles du jeu  de la compétitivité mondiale, revitaliser et promouvoir le modèle républicain et  permettre par là à notre pays de revenir dans l’histoire.
La mise en œuvre de ce projet passe par les orientations nouvelles à donner à l’Europe, plus haut évoquées. Elle passe aussi par des priorités clairement reconnues en France pour  des actions publiques essentielles.
Jean Pierre Chevènement met en avant deux grands projets qui lui sont chers : la politique  industrielle ; l’éducation et la recherche. Ce sont deux domaines dans lesquels il s’est investi, après  Colbert et  Jules Ferry. Et il est vrai que ces deux domaines sont essentiels pour qui comme lui veut restaurer la place de la France dans la compétition mondiale.

A ce point le livre laisse cependant un peu le lecteur sur sa faim. On aurait aimé un prolongement de la réflexion sur d’autres domaines possibles d’intervention, d’autres approches politiques, d’autres moyens d’action éventuels. L’écologie est sèchement renvoyée dans ses cordes (« quel accord politique stable peut-on concevoir entre deux philosophies aussi profondément désaccordées que la pensée des lumières où le PS plongeait ses racines et le culte animiste de la nature, propre à beaucoup de verts ? » (p174). L’autogestion, à laquelle Chévènement consacrait toute une partie de l’un de ses premiers ouvrages ( « Le vieux, la crise, le neuf », Flammarion 1974), n’est plus évoquée qu’au passage, et sous une forme interrogative (p273). La voie d’un développement alternatif, autour des opérateurs du service public et de l’économie sociale, n’est pas explorée.
Ces réserves ne doivent pas nous faire oublier l’essentiel. Nous sommes en présence d’une  pensée cohérente, celle d’un homme qui s’exprime sur le fond des problèmes, qui sait ce dont il parle, et qui a toujours agi conformément à ce qu’il dit. La lecture de son livre est revigorante au moment où s’emballe la concurrence des postures entre candidats potentiels à la prochaine élection présidentielle.

Auteur:
Jean-Pierre Chevènement est l’un des artisans décisifs du Congrès d’Épinay (1971) qui a refondé le Parti socialiste, il est l’auteur des programmes de ce parti en 1972 et 1979 et l’un des négociateurs du Programme commun de la gauche (1972). Plusieurs fois ministre de 1981 à 2000 (Recherche, Industrie, Éducation nationale, Défense, Intérieur), il défend depuis longtemps l’idée d’une « autre politique ». Président d’honneur du MRC, sénateur du Territoire de Belfort, il est aussi vice-président de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.


Avis:
** Jean-Pierre Chevènement a une image d'un certain "passé" de la politique et de cette manière n'est peut-être pas complétement pris au sérieux aujourd'hui. Cependant la qualité de son questionnement vaut véritable le coup d'être lue. On peut ensuite bien sûr discuter des réponses apportées, mais sincérement si tous les politiques écrivaient aujourd'hui des livres avec ce niveau de réflexion, peut-être pourrions-nous dire avec plus de certitudes que "Non la France n'est pas finie!".
** Le résumé de Jacques Fournier ci-dessus retrace assez fidèlement chacune des sections du livre. Tout d'abord la première évoque l'action de la gauche à la fin du dernier siècle et est vraiment très intéressante surtout pour ceux (comme moi) étant trop jeune à l'époque pour comprendre ce qui se jouait à ce moment là. JPC est quand même assez dur avec Mitterand à qui il reproche d'avoir accéléré l'Europe "de cette manière là". La deuxième partie explique le néolibéralisme, partie qui rentranscrit notamment les idées du dernier livre de Joseph Stiglitz. Enfin, la dernière partie sur le grand pari de la France du XXIème siècle est la plus intéressante du livre même si incomplète d'une certaine manière car certains thèmes n'y sont pas abordés.
** L'idée que je préfère de ce livre est sa vision de l'Europe et de l'Euro qui est, aujourd'hui, on ne peut plus actuel ! En effet, l'Allemagne détient les clés et sa vision de l'Euro fort est en train de tuer l'Euro (et une partie de l'Europe) à petit feu. Mais ils ne sont bien sûr pas les seuls responsables et la manière dont a été construite l'Europe est incomplète ! Comment fait survivre une Europe fédérale avec différents peuples sans vision et surtout organisation politique commune ...

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